En attendant Jérusalem

En attendant qu’advienne la ville des deux paix annoncée, paix sur la terre comme au ciel, dans la Jérusalem quarante fois détruite puis reconstruite, un lieu s’est constitué depuis Auschwitz, après Auschwitz, un lieu aux ambitions plus modestes de la seule paix sur terre, et qui tient bon, une Jérusalem nouvelle, accueillante pour les exilés de la cité sainte et d’ailleurs, où Arméniens et Grecs et Juifs et Turcs, Musulmans et Chrétiens, Soufis, Palestiniens ne se massacrent pas, ni ne perdent leur identité en s’agrégeant de force à une masse, où nous vivons ensemble en respect de l’autre. Nous sommes encore au début du vingt et unième siècle, nous n’abordons que sa deuxième décennie, tous les espoirs sont permis.

Cette ville improbable, impossible par son manque d’attrait premier, architectural, cache au monde une quasi perfection de cœur, préparatrice ou non de la Jérusalem nouvelle espérée et promise en terre d’Israël. Il s’y accomplit le vœux le plus cher de toute l’humanité après la dispersion des langues sur la surface de la planète sous l’effet d’un ouragan divin, celui d’un œcuménisme qui respecte l’individualité, là-même où les tentatives de Cité-Etat grecque, de Cité politique romaine, ou encore de la Cité-Dieu ont échoué. Sans doute ces modèles avaient-ils été des essais participatifs, chacun à sa manière, à l’édification de cette Jérusalem nouvelle, encore que la dénomination provisoire de Jérusalem nouvelle soit impropre, elle ne s’est pas édifiée sur des bases religieuses, et ne correspond à aucun modèle.

Sur deux millions d’habitants, cette nouvelle Jérusalem compte cent mille Juifs, de tous pays, autant de Libanais arabes et chrétiens qu’on rassemble sous un chiffre, on peut aussi compter le nombre de Musulmans sans distinction du pays d’origine. Par contre il n’existe pas de chiffre recensant le nombre de Chrétiens, on dénombre quelques Français de France mais pour les Français, comme pour les Italiens ou les Espagnols, le recensement ne se fait pas par la religion, et ce n’est que récemment qu’on commence à attirer des populations d’Europe occidentale. Cette ville improbable est une mosaïque de minorités, les Noirs n’ont pas de revendication contrairement aux Noirs des Etats-Unis, m’avait expliqué un immigrée d’Haïti, et ça fait une grande différence, une immense différence dans le comportement des Noirs comme des autres immigrés, de couleur, ou blancs, ils n’ont pas de revendication ni d’exigences plus élevées que les autres.

Nous nous retrouvons tous dans cette cité de paix terrestre, chacun avec une identité, parfois une appartenance qui n’est plus celle qu’avait déterminée notre naissance, ou l’appartenance par la naissance ne l’était pas une fois pour toute, elle avait changé sans renier l’appartenance que je croyais fondamentalement attachée à ma nation, ma religion. Mon identité s’était rapidement complexifiée et je comprends la difficulté ou j’entrevois la difficulté d’être d’origine étrangère dans mon pays de France, Algérien, Juif pied noir, Albanais. Avec une différence essentielle, l’Algérien ici est encouragé comme moi à vivre pleinement son expérience d’immigré, un droit à la dignité qu’il vient y chercher parfois après un séjour en France difficile, j’ai aussi un rôle à jouer, nous avons tous un rôle à jouer pour tisser des liens, dissiper des malentendus, raisonner les uns, favoriser le dialogue entre nos cultures d’accueil et d’origine par le respect et l’ouverture mutuelle, découvre mon ami Seth venu de Jérusalem la vraie, l’originale, prête pour sa quarante et unième destruction, il en est parti avant.

Seth a croisé Racha de Tunisie au pied de la Montagne, sur son versant nord, le plus pentu, leur vue était éblouie par tant de beauté et l’on n’arrive pas à décrire tout ce que l’on voit, tant de beauté, tant de merveilles, la Montagne est un lieu de recueillement en soi. La Montagne est l’acropole de la ville, de nos idées et de nos sentiments divers, on a démonté la croix qu’y avaient élevée les pionniers, aucune statue ne la surmonte, elle n’abrite aucune spécificité, aucune revendication, elle est visible de toute part, est nue de toute construction sur ses pentes et son sommet, elle est ceinte à sa base par tout ce que compte la ville d’universités et grandes écoles, se répartissant par langue pratiquée encore que cette catégorisation soit simpliste. De l’aéroport à la pointe ouest de la presqu’île, porte d’entrée par air de toutes les nations, qui a remplacé la désuète porte maritime dans la partie basse de la vieille ville, on se dirige ainsi vers la Montagne au centre où s’assemblent, se rassemblent les arrivants selon divers critères liés à la langue, les études, la profession, le pays d’origine. Ainsi s’est constituée une mosaïque s’étendant à partir de la Montagne, qui détermine le visage et la géographie de la cité, dont je cherche encore le ciment, sa géographie physique est simple : une île ceinte par un fleuve au sud, un bras de ce fleuve au nord, qu’enjambent quelques ponts et de l’autre côté c’est un tout autre monde, lui a dit Racha née en terre de Tunisie.

Puis elle a chanté pour Seth :

Il y aura une grande paix sur toute la terre jusqu’à la fin des temps.

Ecoute l’homme qui écoute tout ce qui vit sous le soleil

Ah mais pourquoi cherches-tu la joie vaine?

Et voilà que vient le jour,

et si à ce moment, on les avait agressés, bien que la criminalité soit particulièrement basse pour une aussi grande ville (Outlaws et Hells Angels sont contenus de l’autre côté des ponts, la Mafia fait la loi entre ses familles, les débordements sont rarissimes), ils auraient été tellement désemparés, incapables d’un acte ou de paroles violentes en retour, que l’agresseur se serait désarmé de lui-même et on en resterait à ces paroles sortant de la bouche, du corps de Sara :

Qu’ils soient heureux, ceux qui t’aiment, dit un psaume du roi David, écrit il y a trois mille ans,

Que la paix règne dans tes murs, la prospérité dans tes palais

A cause de mes frères et de mes amis, je demande pour toi la paix.