C’est un petit livre, il tient dans la paume de la main, Les Maîtres du Sonnet. Il avait appartenu à ma grand-mère. Il est inscrit dans ma mémoire la plus ancienne. Je l’ai retrouvé sur la table de chevet de ma mère (elle l’avait donc gardé tout près d’elle) quand il a fallu s’occuper de la maison trois mois après que ses yeux se sont définitivement fermés.
Ce livre, je l’ouvre pour la première fois : il contient un marque-page constitué par une photo, c’est une photo que je n’ai jamais vue auparavant, un doux visage. Mais il n’y a pas que la photo, il y a un faire-part qui la reprend. Il s’agit de la sœur de ma grand-mère, Marie-Elisabeth, comme l’indique la mention manuscrite au dos : « 17 octobre 1942, tuée au bombardement du Creusot ». Je reconnais l’écriture de ma grand-mère, curieusement tremblée, effet de son émotion ? Un dégât collatéral comme on dirait aujourd’hui : Les bombes avaient été lâchées par les Anglais sur les usines Schneider occupées par les Allemands pour fabriquer des locomotives et des armes. Elle allait se réfugier dans une cave. J’avais raconté cet épisode dans Avant tout ne pas nuire, mais sans que j’aie vu son visage. Elle a 24 ans. Elle est mère de deux filles que j’espère revoir d’ici les fêtes de fin d’année si la situation virale mondiale me permet d’aller en France. Je garde cet espoir.
Je regarde longtemps ce profil. Je distingue dedans des ressemblances avec ma grand-mère et avec ma mère. Je reviens au livre de la petite collection rose de la librairie A. (pour Alphonse) Lemerre, non exactement daté mais semblant avoir été publié aux alentours de 1930. Ma grand-mère avait vingt ans et Lisbeth douze, un cadeau pour son anniversaire ? On apprenait par cœur des poèmes, on les récitait à l’école ou pour soi, ceux en forme de sonnet tout particulièrement, une forme qu’on me disait être parfaite sans que je comprenne pourquoi. Elle en apprenait ces dernières années de nouveaux dans le recueil des Maîtres du Sonnet, un exercice pour sa mémoire dont l’altération l’inquiétait. Je l’écoutais réciter à voix haute quelques vers, sur un ton aussitôt enchanté, devant les roses « Pierre de Ronsard » du jardin, fort justement nommées :
Comme on voyt sur la branche au mois de May la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au poinct du jour l’arrose :
La grace dans sa fueille, et l’amour se repose,
Embasment les jardins et les arbres d’odeur :
Mais, batue ou de pluye ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt fueille à fueille déclose.
Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoroient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes.
Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs
Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort ton corps ne soit que roses.


