Carnet d’écriture actuel du 23 mai 2017: Le chirurgien Peter Lorre dans les mains d’Orlac (1935) greffées par le chirurgien fou au pianiste génial, conservent la fonction de tueuses.
Peter Lorre, ses yeux exorbités.
L’actrice au jeu des années trente, emprunté.
L’accent de Peter Lorre.
La première greffe de main, dissimulée au receveur, un pianiste aux mains écrabouillées. Elle sera effectivement réalisée soixante ans plus tard à l’hôpital où j’exerçais la médecine.
À partir de cette histoire, je développe un texte sur la mémoire du corps. Après plusieurs versions, je finis par l’enlever du texte, il est trop à côté du sujet. Je l’insère ici comme une tentative avortée, mais qui peut conduire loin dans le développement:
Clément interprète le rôle d’un chirurgien dans la reprise d’un classique du cinéma, Les mains d’Orlac. L’histoire s’ouvre sur un célèbre pianiste dont les mains ont été écrasées dans un accident. Il lui greffe celles récupérées sur un criminel guillotiné.
— Le personnage que j’incarne aime en secret et unilatéralement la femme du blessé. Le soir, je joue de l’orgue en admirant le reflet de cette déesse dans le miroir, un mannequin de porcelaine que j’ai fait fabriquer à son image.
On oubliera difficilement mon prédécesseur, Peter Lorre. Il a marqué ce rôle autant que le précédent, celui d’un assassin d’enfants dans M le Maudit, qu’un monde sépare : Celui-ci est tourné dans l’Allemagne sur le point de mettre un terme à la république de Weimar. Il la quitte peu après l’installation du meurtrier furieux au poste de chancelier du Reich. Deux ans plus tard, il fait ses débuts à Hollywood comme greffeur fou en s’exprimant dans un américain tinté d’un fort accent germanique, le scénario est à sa mesure, rocambolesque.
— Mais prémonitoire : Soixante ans après, je vaque dans les coulisses d’une première telle greffe effective, aidant un spécialiste de la main qu’on surnomme le nazi. Dans un accès de fureur, il jette mon observation médicale « complètement nulle » dans le bocal d’urine du patient dont j’exposais le cas. Trop rigide pour innover, il sera doublé au poteau par un collègue dont le nom restera inscrit dans les annales pour avoir réalisé l’intervention historique.
— Découvrant ses grosses mains à l’ablation des pansements, le pianiste que j’ai opéré s’exclame : « Ce ne sont pas les miennes. »
— Le premier greffé mondial les acceptera difficilement, lui aussi. Il demandera à en être amputé six mois plus tard.
— Orlac s’attelle à des exercices pour délier des doigts qui n’ont jamais joué de piano, ils sont patauds sur le clavier et retrouvent leur précision pour lancer un couteau, la méthode du criminel, dès que la colère s’empare de lui : Il tue ainsi son père à la suite d’une contrariété et m’atteint entre les omoplates alors que je tente d’étrangler sa femme qui ne veut pas de moi. Je meurs. Fin.
Le film illustre un sujet cher à Clément.
— Il anticipe les connaissances sur la mémoire du corps que j’enseigne en atelier de diction, celle impliquée dans la parole avec la langue et les lèvres.
Mon oncle l’interrompt :
— Effectivement, le scénario ne tient pas debout, la mémoire siège dans le cerveau, même ceux qui ne sont pas médecins le savent.
La discussion risquant de s’envenimer, je leur montre sur mon téléphone la vidéo d’une intervention ressemblant à celle réalisée chez Olivier. En leur indiquant la trachée, les quelques millimètres de diamètre résiduels pour le passage de l’air, je suis pris d’effroi.
— Alors que tous les temps opératoires sont inscrits en moi, mes mains ont oublié les gestes élémentaires.