Résidence d’été 2019

18 juillet

De la vertu de l’amitié de chaque côté de l’Atlantique, indispensable, porteuse, stimulante, fructueuse, ici pendant le mois de juillet où je suis reçu par mes amis de longue date, dans des conditions optimales pour écrire (une résidence d’écriture privée): chez eux dans un lieu protégé, idéal, grâce aussi aux soutiens, à la compréhension, aux encouragements familiaux. Une grande chance. Et le texte, hier, qui s’ouvre sur un champ imprévu, dont j’ignore encore à peu près tout, vers lequel je m’avance, un café matinal en main. 

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Éclipse de lune partielle il y a deux jours, depuis la grande salle de musique où je suis installé, tout contre mon très cher clavecin.

31 juillet

Résidence d’écriture privée, deuxième étape dans un lieu privé tout aussi protégé (et sans wifi, grande concentration longue). 
Et entre les deux lieux de résidence, une rencontre qui ouvre la dernière partie du texte.
Je retrouve parmi des livres qui sommeillent en France dans des cartons un texte de Nathalie Sarraute qui tombe à pic, « Le langage dans l’art du roman », sur la sensation qui anime et dirige le langage et le mouvement sous la sensation. Quelques extraits:

«Ces réflexions, ces points de vue que je vous expose ne sont pas basés sur des idées préconçues. Ils se sont dégagés peu à peu de mon expérience. Ils se sont imposés à moi au cours de mon travail.
[…]
Le langage n’est essentiel que s’il exprime une sensation. Mais non pas n’importe quelle sensation.
[…]
Mais il y avait là un mouvement, et c’est ce mouvement que je m’efforçais d’explorer, de décomposer et de suivre.
[…]
Pour que le langage se moule sur la sensation, s’adapte à elle, lui donne vie, encore faut-il que cette sensation soit vivante et non morte. C’est-à-dire: il faut que ce soit une sensation nouvelle, directe, spontanée, immédiate, et non déjà cent fois exprimée.
[…]
Ce que je vous dis, je le reconstitue après coup, avec le plus d’exactitude possible. Mais sur le moment la sensation faisait ce que bon lui semblait du langage. Elle était le langage. Elle se confondait avec lui. Elle n’existait et ne se formait que par lui. Sans lui, elle n’était plus rien: un vague malaise. Et lui, à son tour, n’était rien sans elle. »

6 août

Résidence suite encore quelques jours, mais pas suite et fin. La pleine immersion ne comporte pas de sortie, je n’en cherche pas d’ailleurs. 
Je m’éloigne des propos de Nathalie Sarraute à un stade du mouvement des sensations: « Au lieu d’être porté sur le personnage, sa situation sociale, son passé, ses réactions habituelles, l’intérêt est porté d’un coup sur le mot… » Ailleurs: « … Un effort constant pour débarrasser l’œuvre des significations qui l’encombrent, qui sont devenues inutiles, et pour dégager la sensation pure. C’est là la raison de la tendance de tout l’art moderne vers l’abstraction. »
Du mouvement des sensations et des impressions, naissent des situations nouvelles, concrètes, ancrées dans une nouvelle réalité issue de l’écriture, et que j’explore.

14 août

Hommage à Walter Benjamin qui met fin à ses jours à Portbou le 26 septembre 1940. Il m’a fourni la solution lors de l’écriture de La minute bleue (en cours), quand je cherchais à éclairer le sujet de la mémoire traumatique du chirurgien. Il restitue la mémoire à partir de l’image (une révolution copernicienne de la pensée historique, ainsi que le qualifie Georges Didi-Huberman). À un moment, j’inverse le processus de l’écriture en n’allant plus vers un vitrail, mais en partant de lui.

Le mémorial Passages de Dani Karavan devant le cimetière, la tombe, la dernière lettre au couple Adorno et Henry Gurland: « Dans une situation sans issue, je n’ai d’autre choix que d’en finir. C’est dans un petit village dans les Pyrénées où personne ne me connaît que ma vie va s’achever. »

19 août

Extrait de Débuter comment c’est, de Bertrand Leclair, livre avalé et à relire:
Une phrase parmi d’autres que j’aurais volontiers transcrites: « (qu’on songe seulement à la vitesse à laquelle un visage peut s’empourprer). Écrivant, il s’agit bien d’incorporer l’émotion dans la phrase: de la laisser colorer la surface des mots en l’absence physique d’un corps susceptible de rougir et d’une voix susceptible de trempler – susceptibles tous deux de révéler autant par le timbre et le rythme que par le sens. »
La verticalité et les impressions vives, cette partie dans Le temps retrouvé si importante que décrit L’adoration perpétuelle, ce que j’appelle les occurrences incroyables qu’apporte la vie quand on écrit, les rencontres qui viennent au moment exact bousculer le texte, le pénétrer, le faire surgir. Ces rares conjonctions, improbables, qui nécessitent d’avoir été attentif, à l’écoute, état qui était impossible à vivre quand j’exerçais la médecine, et qui relève de quelque chose qui m’échappe et me dépasse. Elles se sont produites chaque fois quand je ne les cherchais pas ou plus, quand elles étaient nécessaires pour que le texte advienne. 
Qu’est-ce que tu fais de tes journées ? J’écris. Mais tu n’écris pas toute la journée ? Ces moments qui ne sont venus qu’en écrivant à plein temps et qu’en vivant pleinement, c’est-à-dire en étant entièrement disponible pour les saisir quand ils surgissent. Parfois en marchant, ou en partageant un café, pour prendre des exemples concrets de cadeaux qui m’ont été faits, quand l’écriture dépasse celui qui prétend écrire. On n’utilise plus guère le mot de sacré, suspect, l’écriture a alors une dimension sacrée. Ce que je fais de mes journées ? Chaque livre écrit est un immense voyage dans les sensations, toute la palette des sentiments se déploie. En ce moment, je voyage j’écris.

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