
Je retrouve ces textes, notés de Claude Régy, décédé ce jour, avant ou après être sorti si marqué par chacun ses spectacles (l’expression est faible, quelle représentation théâtrale ensuite?), de ses Jon Fosse à Trakl en passant par Pessoa, Vesaas, Maeterlinck, Lygre, Meschonnic):
Je crois que dans toutes les activités du travail, il est très important que ce qu’on pense être des limitations soient en même temps des ouvertures. Il n’y a pas de fermeture sans ouverture. Et d’abord ne jamais se fermer soi-même. Ne pas prendre de décision. Ne pas enfermer les choses dans une vision unilatérale. Laisser toujours les choses respirer. C’est-à-dire prendre de l’espace, prendre du vide, se nourrir du vide, et puis restituer quelque chose qui à son tour envahit le vide. C’est cette respiration entre l’être et le vide qui fait je crois le souffle du dessin et qui fait le souffle d’une image aussi au théâtre. C’est important de se laisser faire par ça. D’attendre que les choses communiquent, de veiller simplement justement à ce qu’on ne ferme jamais le couvercle, avec des clous. Qu’on ne cadenasse pas.
Qu’on ne s’active pas par peur de ne pas faire quelque chose.
Qu’on ne s’active pas.
Qu’on reste dans une disponibilité la plus absolue possible.
Et aussi ceci:
Parler de la mort n’est pas morbide. Morbide veut dire malade. On meurt parfois à la suite d’une maladie.
Mais la mort n’est pas une maladie.
C’est un phénomène biologique nécessaire.
Il fait partie d’un système de renouvellement auquel, en contrepoids, participe la sexualité. Simplement, rien n’est jamais engendré qui ne soit mortel.
Pour autant, la mort n’est pas négative.
Rétablir un courant de mort dans le courant de vie est très positif. C’est faire cesser un mensonge nocif et malsain: la vie sans la mort.
On ne peut pas mettre beaucoup d’ordre dans notre vision de la mort. On peut filmer des cadavres. La mort, non. J’ai vu le cœur s’arrêter et ne pas repartir. J’ai senti le corps qui part traverser mon corps, un transpercement etc., une traversée, et elle m’a respecté, je n’ai pas été emporté dans le flux, ma vie a résisté. Je suis revenu avec cette connaissance, ce mot? bien imparfait. Je n’y connais rien, je suis revenu après cette fréquentation de près. Ma connaissance, abstraite, c’est qu’un jour ce sera mon tour.
Il est très attirant de travailler sur ce qui, justement, dépasse la connaissance.
(écrits divers aux éditions Les Solitaires Intempestifs)
Melancholia, de Jon Fosse par Claude Régy, petite salle du Théâtre de la Colline (même si aucune photo ou vidéo ne rendra jamais compte des impressions sensorielles suscitées par ses spectacles):
