Mon Cher Paul Claudel,
Les expérimentations à la Comédie-Française, depuis un an, depuis le début du premier confinement, et plus particulièrement depuis le troisième avec le « théâtre à la table » relèvent du miracle avec une apothéose, atteinte la lecture à la table de votre Soulier de satin (même s’il n’y a rien de définitif ou d’absolu en la matière). Depuis sa création en 1943 par Jean-Louis Barrault, la pièce n’y avait plus été entendue.
Et voici à nouveau salle Richelieu une intégrale. Sous forme d’une lecture à la table, façon de parler. Certes les acteurs ont entre les mains leur exemplaire tapuscrit ou en Folio de la pièce, et je pensais savoir vous lire. Mais la lecture a lieu ici à travers les corps. De simples interjections « hi ! hi ! hi ! » sur papier, les « rrac ! » et autres onomatopées sont des cris brûlants sur écran, résultat des immersions en texte, et c’est tout le texte qui se découvre ainsi. Suivant de près depuis un an les expérimentations successives, je réalise dans Le soulier à quel point la lecture, ma lecture, celle qui me happe, est devenue physique, rejoignant en cela l’écriture à partir du corps.
Je vous imagine écrivant la pièce, votre corps trapu est agile, votre voix marquée par l’enfance dans le Tardenois, modifiée par les voyages, couvre un registre d’au moins trois octaves, traduisant ce que vous écrivez du vers poétique d’ailleurs : « Je définis mon vers comme une expiration, un testament intelligible, cette action double et réciproque par laquelle l’homme absorbe la vie et restitue une parole intelligible. Il est notre vie elle-même, notre rythme essentiel par quoi nous vivons et nous sommes. »
Comme il est dit à la fin de la première journée, « il en reste trois (suit un rire communicatif de l’Annoncier incarné par Bakary Sangaré), à samedi prochain (rire encore), bonne nuit (long rire) » qui se propage jusqu’à Montréal.