Carnets d’écriture actuel et inactuel, de 2015 à 2018, entre Proust et l’écriture de Ce côté et l’autre de l’océan, six moments pré et post-écriture:
17 février 2015 — Proust travaille, et travaille encore et encore la phrase (lecture d’esquisses successives). Il donne de ceux qui donnent courage, comme aussi le pianiste Volodos: « J’ai dû m’y reprendre trente-neuf fois pour une pièce qui ne dure qu’une minute ! Arriver à quelque chose de magique, c’est inexplicable. » Entretien lu deux ans après ce que je notais dans le carnet d’écriture:
À force de malaxer la matière, mettre en relation, essayer, chercher, la phrase est là.
(même si la suite me montre que je la reprendrai encore.)
15 mai 2015 complété en 2017 — Lecture du blog de Didier Cohen-Salmon, anesthésiste pionnier dans la prise en charge de la douleur chez l’enfant, devenu psychanalyste, sur sa mémoire traumatisée par certaines pratiques médicales et chirurgicales, ainsi que sur Blaise Cendrars: Tant de temps perdu et ne plus me fourvoyer. Je n’aurai, je crois, jamais assez de temps car il m’en faut beaucoup pour qu’émerge ce que j’ai à écrire.
Proust dans l’adoration perpétuelle et les esquisses est un excellent stimulant, ce n’est qu’aujourd’hui que je réalise que j’ai pu établir des liens entre certains sujets par des impressions venues de la musique durant ces trois semaines qui lui ont été consacrées, la neuvième, l’hymne, Furtwängler.
(screenshots film super 8: New York quelques années avant la construction des Twin Towers et la réalisation d’Histoires d’Amérique par Chantal Akerman)
6 juin 2015 — J’en suis au premier stade des maisons autrefois habitées, celui des simples souvenirs, une première étape difficile, le ressassement de souvenirs figés.
Tout le travail initial dans Avant tout ne pas nuire avait été de me sortir de soi: J’éviterais d’emblée de perdre du temps en n’abordant pas cette phase. C’est un réflexe naturel de commencer ainsi, un combat annoncé contre cette tendance forte, aborder les noms de lieux hors en dépassant le ressentiment premier (lequel, quand je l’affronte se dissipe, n’ayant plus d’objet).
« Sans doute Proust parvient-il toujours à débusquer la beauté là où le lecteur ne voyait que laideur et insignifiance. »
8 juin 2015 — Tout le travail initial dans Avant tout ne pas nuire avait été de se sortir de soi. Impossible encore pour le texte suivant, Poughkeepsie (la première couche indécente du texte): comment aborder les noms de villes (Poughkeepsie, Woodstock, Fishkill, Wappinger Falls) hors du ressentiment (lequel quand je l’affronte se dissipe). « Sans doute Proust parvient-il toujours à débusquer la beauté là où le lecteur ne voyait que laideur et insignifiance. »
2 octobre 2015 — Lecture des lettres de Proust à sa mère et aussi de celles de sa mère à Marcel (qui n’apparaissent que dans la biographie d’André Maurois), un pendant extrême à mon narrateur qui ne parle pas à la sienne de l’essentiel, le père.
16 février 2018 — Hôpital Necker puis Les mardis de L’écume des pages (merci l’équipe, Hélène Bihèry, Loïc Ducroquet), Noël puis Loïc à la Comédie française, le dedans puis le dehors qui est devenu le dedans, la médecine et les livres, la médecine puis l’écriture, l’écriture et l’écriture de Corps étrangers, et la vie. « Les jours extrêmes des Intermittences du coeur sont ceux-là mêmes où subitement la vie et le roman ne font qu’un, où la vie est un roman. » (Proust et Marcel)
Et un moment dans Paris un peu comme ce Screenshot de « Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 » (Alain Tanner).