Vouloir écrire (I)

Écrire, et plus précisément, ces temps-ci, sur l’amitié. Mais le flux des mots ne vient pas, reste bloqué, est coincé dans ma tête, n’atteint pas mes mains. Écrire : le geste de ma vie qui va avec aimer. Et je cherche, je cherche toute la journée, avec un cahier à proximité, un stylo aussi, un clavier, un téléphone pour dicter si jamais… mais rien ne vient, et je cherche ce qui me bloque après avoir écrit pendant quatre ans sur l’âme, ce qu’est l’âme, de ce mot je retombe comme si cette écriture n’avait laissé aucune marque, je retombe et il ne se passe plus rien, rien de rien, vide, vidé, sans flux de vie, sans flux de mots, je vis, je regarde la vie, je cherche à l’écrire, à écrire ce je ne sais quoi que je sens sur l’amitié et tout ce qui surgit avec ce mot, l’amour. Par-dessus toute amitié. Je côtoie des amis et je suis juste un peu à côté car je me fais du souci sur le pas-écrire, l’écrire qui reste dans ma tête et que je voudrais sortir autrement que dans des ébauches plates, je suis plein d’énergie pour le faire et j’en manque totalement une fois devant la feuille, l’écran. Vide, vide absolu, insoutenable si cela devenait impossible, comme avoir fini sa vie. Or, je vis bel et bien, mais toujours avec ce souci majeur au lieu de laisser aller, de ne pas me cramponner, me crisper, être ailleurs aujourd’hui aussi, ce que je prévois et lutte contre, je ne veux pas être ailleurs avec Emmanuel comme je l’ai été un peu avec Pascal et Hélène, premiers amis venus nous voir. Être ailleurs et en être conscient, c’est aussi écrire à côté, vivre et écrire à côté, tout ensemble, je lutte avec l’ange que je ne suis pas, je lutte avec moi-même et ne voudrais que m’oublier, pour que j’aille pleinement dans le monde et offre entièrement ce que je suis, débloquer ce que je suis et je ne sais que trop comment débloquer : agir. Et écrire viendra tout seul, de soi, naturellement, simplement, comme part de la vie, la vie toute entière surgira simplement, par saccades, sur le papier, sans que je me pose toutes ces questions sous-jacentes au vouloir écrire qui est bloqué.

Écrire sur l’acte d’écrire bloqué, un non-sens.

Écrire sur la fontaine qui coule, la nature de mi-printemps, écrire comment je me sens bien devant elle, avec elle tout autour, l’air frais qui vient de ma gauche, le soleil qui éclaire les trois quarts de la table, mes doigts, et je me suis assis en retrait, les chants d’oiseaux et un oiseau plus près, il chante plus fort, un sifflet métronomique, écrire après avoir nettoyé la pièce des amis, le ménage, écrire en regardant les livres tout autour de moi, dans les bibliothèques. Parfois, ils me pèsent, parfois je voudrais me débarrasser de tous les livres et je fais tout le contraire, j’ai posé trois livres sur la table, trois livres en cours de lecture, au lieu d’être en cours d’écriture. Tout ce temps. Sans doute un plaisir, une nourriture, sans doute, je ne sais plus quand je suis bloqué. Je suis bloqué. J’écris sur mon acte d’écrire au lieu d’écrire sur l’amitié, partir de là, sans dispositif, quelque chose déclencherait cette envie impérieuse, j’attends, je guette, j’espère ce moment quand je ne me poserai plus de question, quand l’écriture s’imposera.

Écrire et soudain je réalise que demain c’est l’anniversaire de Véga, ses vingt et un ans, la naissance, nous, une planète atteinte où rien d’autre ne compte, où la matérialité est totalement à l’arrière-plan, où la vie est à son apogée. Puis vient au monde l’enfant. Tout est beau, le visage de Violaine, l’enfant dans mes bras, vite avant que le monde ne vienne à nouveau alourdir notre émerveillement.

La matinée avance. 

D’écrire sur l’acte d’écrire acutise le ressassement autour du blocage d’écrire.

M’en détacher.

Sortir.

Courir.

Mais si je cours, je ne lis pas, je ne suis pas dans la lecture, je dispose d’un temps précieux hors de l’écriture. Ma vie est centrée sur l’écriture bloquée, je ne parviens pas à la décentrer, ou un peu si je lis, un peu plus si je cours, pas du tout si je visite je ne sais quoi au lieu d’écrire, au lieu d’être bloqué pour écrire, ce qui n’est pas une bonne solution, je sais qu’il me faut vivre, vivre intensément, inverser les valeurs comme dirait N, avoir la volonté de puissance, ajouterait-il, je le sais, j’en suis convaincu, je me dois de m’écarter de l’écran, je m’écarte de l’écran.

Je suis attiré par les personnages d’avant, par Violaine et Véga, par le parc carré et la montagne de Montréal, par Jef, une solution de facilité. Je voudrais me détacher d’eux, mais pourquoi le vouloir, et aller en montagne des Alpes avec de nouveaux et frais personnages, enfants, hommes, femmes, loin des tendances actuelles. Ou alors, je ne résisterais pas et je tourne en rond. Je suis bloqué, figé, immobilisé, le contraire de la vie.

En rond jusqu’au vertige à tomber par terre. 

Violaine. Véga. Marie. Jef. Le parc carré. 

L’inconnue. L’inconnu.

Mais ma vie tournait en rond. Mais l’édition de mes textes tourne en rond. L’éternel retour et ensuite. Pas encore assez. Pas assez. Encore et plus, plus loin, plus avant.

Crise, une crise, état critique. Puis.

Après avoir atteint L’âme serait…

Après.

Un livre en moi, à venir, et bien opaque, dans l’obscurité épaisse. Je bouge, me déplace, devrais danser pour trouver ce livre. Me faire confiance, cette phrase qui commence à m’énerver. Me déplacer, être en mouvement, la vie même. Et ce qui est en moi à écrire viendra à la surface de la feuille. 

Pour cela, aller au-delà de ce que je connais déjà. 

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